Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Nouvelles d'Erik Vaucey... et autres gourmandises littéraires !
8 juillet 2013

Antidote - Chapitre 1 : Le Marais

anti chap 1

Tout ce mois de juillet, vous allez pouvoir découvrir chapitre après chapitre cette nouvelle écrite pour le concours  « VISIONS DU FUTUR » 2013 à partir de la citation suivante de Roland C. Wagner, écrivain français de Science-Fiction né en 1960:

«  J’avais l’impression d’être sur le point de toucher du doigt quelque chose qui flottait à la lisière de ma conscience, quelque chose qui m’était familier(…). »  

Bonne lecture... et n'hésitez pas à commenter selon votre bon vouloir !

 

Cette nouvelle, bien que pouvant se lire de manière autonome, constitue la première partie de la saga "L'odyssée des berceaux". "Le marais" en est le premier chapitre.

Antidote

 

Chapitre 1 – Le marais

 

Leur charette presque pleine, Rodon et Jonan font une dernière virée sur la colline artificielle formée de détritus tombés du ciel. Ils sont à la recherche de débris de verre qui complèteront leur chargement.
-         Rodon, tu vois ce que je vois ? Une belle cape de laine, quelle aubaine !
Jonan se dépêche d’escalader les quelques mètres qui le séparent de l’objet convoité.
-         Viens vite : la cape est habitée !
Il relève la capuche, découvrant la tête d’un homme inerte. Il doit avoir une trentaine d’années. Il a l’air bien mal en point. Johan passe sa main devant la bouche de l’inconnu.
-         Il respire. Viens m’aider à le descendre pour le mettre sur la charette : il faut le transporter chez le sorcier. Il saura quoi faire.

À son réveil, l’homme a mal partout.
-         Alors, on revient parmi les vivants ? Tu sais que tu as eu de la chance : quand tu es arrivé ici, je ne donnais pas cher de ta peau. Mais finalement, il faut croire que mes potions sont très efficaces ! Quel est ton nom ?

Il est désorienté. Il a beau chercher, il ne sait pas ce qu’il fait ici, ce qui lui est arrivé, ni même qui il est.
-         Euh, je ne me souviens pas.
-         Après un tel traumatisme, cela ne me surprend guère. En attendant, on t’appellera « Tombeur » puisque tu es apparemment tombé du ciel.

Pendant sa convalescence, le vieux marabout lui raconte la vie dans cet immense marais. Ils sont des milliers à y vivre, répartis dans des dizaines de villages sur pilotis reliés les uns aux autres par des pontons en bois de plusieurs kilomètres. Chaque village à sa propre spécialité. Celui où il a été recueilli trie la montagne formée par les déchets qui tombent du ciel jour après jour, formant une île au milieu de l’eau. Lors du marché hebdomadaire, des centaines d’envoyés d’autres villages viennent chercher la matière première dont ils ont besoin : du bois pour certains, du fer pour d’autres, du verre, des tissus, du compost. En échange, ils reçoivent de l’eau potable, de la nourriture, des habits, des onguents…  Tombeur écoute avec attention, décortique et analyse sans difficultés l’organisation de ce peuple. Il pose de multiples questions. Le vieillard répond avec précision. Il est le dépositaire de la tradition orale de ce peuple qui ne connaît pas l’écriture. Il n’existe pas non plus de cartographie du marais. Les excursions, exclusivement liées au troc de marchandises, se limitent aux villages les plus proches.

Dès que sa santé lui permet, Tombeur intègre une équipe. Il va sur la colline chercher les matériaux selon les indications du chef du village. Il participe aux opérations de tri, de nettoyage et de conditionnement en vue du marché. Cela occupe toutes ses journées, si l’on peut parler de jour et de nuit. En effet, une lumière uniforme éclaire un ciel sans soleil ni nuages le jour, une lumière toute aussi uniforme mais bien plus douce éclaire la nuit sans lune ni étoiles, rythmant ainsi le temps.

Un jour où son équipe est chargée de recueillir papiers et cartons, il est fasciné par la photo de couverture d’un magazine. Une très belle jeune femme y figure en gros plan. Pour la première fois depuis sa chute, il a l’impression d’être sur le point de toucher du doigt quelque chose qui flotte à la lisière de sa conscience, quelque chose de familier, un souvenir dont il pressent l’importance capitale. Il cache le magazine sous sa cape et s’efforce de garder un ton jovial avec ses compagnons, malgré sa frustration d’être incapable de mobiliser sa mémoire. Une fois la journée de travail terminée, il s’isole pour examiner la revue. La légende indique :
« Un communiqué officiel annonce les fiançailles d’Eléonore, la fille du Président Prajin , avec l’ambassadeur Tamino du cinquième berceau, en gage des bonnes relations entre nos deux villes ».
Tout cela reste très mystérieux, mais il est tenaillé par un sentiment d’urgence. Il doit faire quelque chose. Il a une mission à remplir. C’est en lien avec cette femme, avec cette légende, mais il n’arrive toujours pas à se souvenir.

Après le dîner collectif, il retourne chez le sorcier.
-         Ces détritus, ces journaux… il existe un autre monde que le marais, n’est-ce pas ?
-         Des mythes parlent du monde du dessus du ciel, il serait habité par des demi-dieux. Ce sont eux qui prendraient soin de nous en nous envoyant toutes ces matières premières dont nous avons besoin pour vivre.
-         Quelqu’un les a déjà vus ? Peut-on les contacter ? Se rendre dans leur monde ?
-         Des rumeurs prétendent qu’un village tout à fait en aval du marais ferait parfois du troc avec eux. Ils n’auraient jamais vu leurs visages, et seuls les demi-dieux pourraient voyager entre le ciel et le marais dans des libellules métalliques géantes. Je ne peux pas t’en dire plus, mais je peux te montrer des objets tombés du ciel que nous n’avons pas pu recycler. C’est mon trésor !

Le vieil homme le conduit dans une sorte de grenier rempli d’objets divers. Tombeur reconnaît des armes et des munitions, mais n’en dit rien de peur de perturber le fondement pacifiste de la population du marais et son fonctionnement basé sur le troc. Dans le bric à brac, il s’intéresse particulièrement à des pièces de monnaies, un badge électronique, des oreillettes de communication radio et une cartouche d’air comprimé pour la plongée. Le sorcier le regarde attentivement.
-         Je t’ai recueilli et soigné comme si tu étais mon propre fils. Mais j’ai compris depuis bien longtemps que tu appartenais à ce monde au dessus du ciel et qu’il te faudrait repartir. Ce jour est arrivé, n’est-ce pas ?
-         Il me semble que oui. Je ne sais pas encore pourquoi, mais je sens qu’il est vital pour nous tous que je parte.
-         Alors prends ces objets qui ont attiré ton attention. Je ne veux pas savoir à quoi ils servent, mais tu en auras certainement besoin. Ce sera mon cadeau d’adieu. Prends aussi ma pirogue. S’il existe un passage vers l’autre monde, ce ne peut être qu’en aval. Avec le courant tu iras bien plus vite qu’à pied.
-         Je ne sais comment te remercier.
-         Grâce à toi, j’ai un fils, un fils bon, juste et généreux et je sais maintenant que le monde d’en haut n’est pas une légende.
Avant de l’enserrer dans ses bras, le vieil homme prend une plume, la plonge dans un onguent rouge, puis dessine des signes cabalistiques sur son front.
-         Maintenant, tout le peuple du marais saura que tu es le fils du sorcier de l’amont. Il te portera assistance tant que tu en auras besoin. File accomplir ta destinée et ne te retourne surtout pas.

Tombeur monte dans la pirogue chargée de victuailles et d’outres d’eau et se glisse dans le courant. Il a l’impression de s’arracher aux siens, de n’avoir jamais été autant aimé pour ce qu’il était, tout simplement. Mais, suivant la consigne, il ne regarde pas en arrière et va de l’avant.

Porté par le courant, il arrive dans une roselière. Le passage est étroit pour la pirogue. Tombeur doit se frayer un passage à travers un véritable labyrinthe formé par de petites digues obligeant la masse d’eau à emprunter de longs détours à travers la végétation. En plus des roseaux, il reconnaît diverses graminées, des nénuphars et autres plantes aquatiques. Sur les digues, il croise des travailleurs liant en fagots les roseaux séchés, renforçant les digues, curant les vases. La traversée dure plusieurs heures. Lorsqu’il se rend compte que l’eau a perdu son odeur putride et a gagné en transparence, il comprend où il est : il s’agit d’une sorte de station d’épuration géante, fonctionnant uniquement grâce à des plantes naturelles.

Il est conforté dans cette explication lorsqu’un dernier déversoir le fait passer de cette ambiance végétale à un grand lac aux eaux claires. Il y croise des barques de pécheurs maniant leurs filets avec dextérité. Intrigués, ils s’approchent de lui. A la vue de son front, de grands sourires remplacent leur air inquiet. Ils demandent des nouvelles du sorcier, puis lui font cadeau de poissons.

Le courant le pousse dans un canal où il prend de plus en plus de vitesse. Il est émerveillé par tout ce qu’il voit. Après de vastes étendues de rizières, il longe des terres arables alimentées par de vastes réseaux d’irrigation. Des céréales, des légumes, des fruits variés, tous plus appétissants les uns que les autres, sont cultivés en très grandes quantités. Pourtant, il ne voit pas le moindre engin mécanique. De nombreux agriculteurs et maraîchers s’activent dans les différentes parcelles. Lorsque le soir tombe, ils l’invitent respectueusement à partager leur repas et leur dortoir.

Le soir du deuxième jour, le courant l’emporte jusqu’à une immense étendue d’eau douce dont il ne voit pas le bout. Il pagaie jusqu’au village sur pilotis situé à l’embouchure du canal. Alors qu’on le mène jusqu’au chef de la communauté, il est impressionné par les grands hangars qui bordent l’allée où ils avancent. Dans certains s’entassent des piles innombrables de matériaux, des lingots de métal, des plaques de verre ; dans d’autres sont entreposées de multiples caisses de nourriture parfaitement conditionnées. Il a donc atteint l’autre extrémité du marais. C’est ici qu’aboutissent les produits issus du recyclage des différents villages et les diverses récoltes.

Le chef du village l’accueille avec tous les honneurs. Personne ne se souvient de la dernière visite d’un envoyé du sorcier de l’amont. Il répond avec franchise à toutes les questions de Tombeur. Ce sont bien toutes les productions du marais qui sont stockées dans ces grands hangars. Certaines nuits, la lumière s’éteint complètement dans toute cette partie du marais, les plongeant dans une obscurité totale. Quelques minutes plus tard, un essaim de libellules mécaniques géantes se posent sur la grande esplanade. Grâce à de grands chariots flottant à quelques centimètres du sol, les demi-dieux recouverts d’armures intégrales se servent à leur convenance. En échange, ils laissent des semences, des potions, divers produits utiles au peuple du marais, mais aussi des conseils pour résoudre les problèmes qu’ils rencontrent et améliorer leurs techniques de culture et de recyclage. Il en est ainsi depuis des générations et des générations. Jamais personne n’a pu se joindre à eux pour les accompagner dans leur monde. Une légende raconte qu’il existe au bout de la mer d’eau douce un immense tourbillon qui conduit jusqu’au monde des demi-dieux. Mais tous ceux qui ont tenté l’aventure ont été retrouvés noyés dans le lac.

Tandis qu’il écoute attentivement le chef du village, Tombeur sent des connections s’établir dans son cerveau. Tout ce qu’il a vu et entendu commence à prendre un sens. Le peuple du marais est chargé du recyclage des déchets du monde des demi-dieux, et le marais lui-même fonctionne comme une immense station d’épuration des eaux usées. S’il ne se trompe pas, il est nécessaire que l’eau potable soit ensuite pompée pour rejoindre le monde d’en-haut. Le tourbillon est sans doute à l’aplomb d’un siphon qui alimente de gigantesques conduites de pompage. Risque-t-il d’être broyé par les pompes ? A priori non, sinon les corps retrouvés auraient été déchiquetés. Il ne lui reste plus qu’à espérer que la cartouche d’air comprimé soit suffisante pour atteindre vivant la sortie de la conduite. Mais au fond de lui, il sait bien qu’il n’a pas le choix.

Le lendemain matin, lorsqu’il prend congé de ses hôtes, ceux-ci lui font une haie d’honneur pour saluer sa bravoure. Ils lui ont donné un sac étanche solidement accroché à son dos dans lequel il a soigneusement rangé sa cape, les objets extraits du trésor du sorcier et un couteau de chasse offert par le chef du village.

Il pagaie toute la journée suivant la direction d’un léger courant. Le soir, il découvre un mur métallique sans fin dont les gros rivets lui paraissent familiers. Une cinquantaine de mètres avant le mur se trouve le fameux tourbillon. Il n’est plus temps de tergiverser : Tombeur prend la cartouche d’air comprimé, la dégoupille, met l’embout en bouche et plonge au coeur de la spirale aquatique.

 

A suivre

Lire le chapitre suivant : "Les ateliers"

Aller au sommaire de la saga "L'odyssée des berceaux"

Publicité
Publicité
Commentaires
E
Merci Françoise et Nathalie :) <br /> <br /> La suite lundi prochain 15 juillet... <br /> <br /> Je vous donne un indice en avant-première : le chapitre 2 s'intitule "Les ateliers"...
Répondre
N
Bravo pour ce début prometteur, un bon moment de lecture :)
Répondre
F
Très bonne partie qui donne envie de poursuivre la lecture ...
Répondre
Nouvelles d'Erik Vaucey... et autres gourmandises littéraires !
Publicité
Newsletter
Pour être informés par mail des nouvelles publications de ce blog, n'hésitez pas à laisser votre adresse dans le champ "Newsletter" ci-dessus :)
Nouvelles d'Erik Vaucey... et autres gourmandises littéraires !
  • Les nouvelles d'Erik Vaucey explorent divers champs de l'imaginaire, en particulier ceux de la science-fiction. Plus largement, il dédie ce blog au monde des nouvelles et de leurs auteurs, genre littéraire qui mérite d'être mieux connu et reconnu :)
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Archives
Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 46 355
Publicité