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Nouvelles d'Erik Vaucey... et autres gourmandises littéraires !
10 mai 2014

Rétrofiction - 2ème partie

expo89

 

Pour vous qui avez déjà lu la première partie de cette nouvelle de rétrofiction, voici donc la deuxième et dernière partie.

Sans attendre l'éventuel appel à voter pour elle dans le cadre du 5ème tournoi des nouvellistes du webzine du nouveau monde, vous pouvez déjà émettre vos remarques et avis en commentaire !

Bonne lecture !

 

* * * * *


De l’encouragement au progrès
(2ème et dernière partie)

 

* * * * *

Terre, an 1883 après JC

Par ce beau dimanche après-midi, Edmond et Jules se promènent le long de la Seine. Jules est intarissable sur deux de ses projets en cours. L’intrigue de l'un se déroule autour de la Mer Noire, celle de l’autre en Afrique du Sud. Comme souvent, Edmond s’intéresse aux détails techniques mis en scène et enrichit les idées de son ami.

Alors qu’ils approchent du pont de Tolbiac, l’écrivain désigne l'ouvrage d'art en ajoutant.
- Mon cher Edmond, depuis que je garde l’esprit rivé sur l’avenir, je ne peux que penser qu’un tel ouvrage fait déjà partie du passé.
- Comment pouvez-vous émettre une telle affirmation : ce pont a été inauguré il y a à peine un an !
- Ce n’est pas l’âge du pont qui compte, c’est sa technologie : la pierre et la maçonnerie, si belles soient-elles, paraissent pataudes au regard des charpentes métalliques. Les ingénieurs de la société Gustave Eiffel et Cie m’ont montré les croquis du viaduc ferroviaire de Garabit dont la construction s’achève. L’usage du métal rend majestueuse l’arche de 165 mètres de portée à 120 mètres au dessus de la rivière. Je suis certain que vous seriez fasciné !
- Oui, j’ai vu des illustrations. Vous avez raison. Le métal révolutionne l’architecture et l’industrie. Eiffel a trouvé un filon d’avenir.
- Ses ingénieurs ne savent plus où donner de la tête. Il est question qu’ils embauchent un nouvel architecte en chef pour superviser l’ensemble de leurs projets.


* * * * *

Revue « L’illustration », 17 janvier 1884

Secte.

Après une longue et minutieuse enquête, les carabiniers italiens ont interrompu la semaine dernière une cérémonie occulte qui se déroulait dans une salle du palais des papes à Viterbe. Tout a commencé par de multiples plaintes de familles concernant le comportement curieux et irrationnel qui de leur fils, qui de leur épouse ou de leur mari. Toutes les personnes incriminées ont comme caractéristique commune d’avoir l’auriculaire gauche d’aspect mou et flasque.

Les recherches ont conduit les limiers italiens à une ancienne diva déchue, Gabriella Casta Delle Fiore, connue pour son lobe élastique et démesuré. Elle organise des cérémonies où, en échanges de dons en espèces, ses disciples sont autorisés à toucher de leur petit doigt gauche sa boucle d’oreille formée d’une curieuse perle translucide.

La perle a été transportée pour expertise à l’institut de géologie de Naples. Dans l’attente des décisions judiciaires, la cantatrice est consignée à domicile.

* * * * *

Terre, an 1884 après JC

Assis devant son bureau, Edmond repose le journal. La gravure de la fameuse perle ne lui laisse que peu de doute. Il va falloir qu’il voyage jusqu’à Naples dès que possible. Il laisse ses pensées divaguer. Il se sent nostalgique. Cela lui arrive de plus en plus souvent. En vingt-trois ans, il a vu ses amis vieillir. Il a lui-même dû modifier son apparence en s’ajoutant progressivement des rides, des cheveux blancs et un léger surpoids. La vieillesse de ceux qu’il aime vient lui rappeler qu’il n’est pas comme eux, qu’il n’est pas ici chez lui. Il n’est qu’un extraterrestre polymorphe, même s’il est bien différent de ceux imaginés par Jules. Il est sans doute temps de rentrer sur sa planète natale, même si son cœur – il ne peut s’empêcher de prendre cette belle image terrienne – restera en partie ici. Il a le temps de s’habituer à cette perspective : le chemin est encore long avant qu’il ne puisse retourner sur Paladisz.

En début d’après-midi, Gustave Eiffel fait appeler Stephen Sauvestre.
- Alors, Monsieur l’architecte en chef, j’espère que vous avez de bonnes nouvelles pour moi. Saurons-nous bâtir le plus haut monument du monde, à plus de 1000 pieds de hauteur ?
- Je le crois, Monsieur Eiffel. Notre savoir-faire en charpente métallique nous permettra de résoudre les problèmes de poids et de prise au vent. Les idées de Messieurs Koechlin et Nouguier étaient bonnes…
- Comment ça "bonnes" ! Vous avez vu leurs croquis ? Il ne suffit pas de réaliser une tour de 300 mètres de hauteur, il faut aussi que la laideur de l’édifice ne soit pas la risée du monde entier !
- Je me suis mal exprimé. Leur concept est un bon point de départ, mais en donnant plus d’envergure au projet, en améliorant ses caractéristiques, je pense que l’esthétique en est bien meilleure. Jugez par vous-même.
- C’est stupéfiant ! Comment avez-vous réussi ce tour de force ?
- J’ai réduit le nombre des étages de cinq à deux et rajouté des pieds en maçonnerie. Il a été nécessaire de consolider le bas de la tour jusqu’au premier niveau par des arcs supplémentaires qui améliorent également sa silhouette. Enfin, l’ajout d’un campanile à son sommet donne une touche finale qui n’est pas sans rappeler les phares marins.
- J’ai bien fait de vous embaucher, Sauvestre. Préparez-moi tous les documents nécessaires au dépôt du brevet. Mademoiselle Restand, demandez audience auprès de mon ami le ministre de l’industrie. J’ai une idée de concours à lui proposer pour l’exposition universelle de 1889.

Dans le fiacre qui le ramène chez lui, Stephen Sauvestre laisse son apparence évoluer pour reprendre peu à peu les traits d’Edmond. Pour éviter d’éveiller la curiosité, il a pris soin que les deux hommes soient de corpulence et d’âge identiques.

* * * * *

Paladisz, an 7342 de l’ère galactique

Fabienne observe le prisme mémoire dans lequel des images d’époque en trois dimensions s’affichent.
- C’est donc ça, la fameuse tour ? Il existe un air de famille prononcé avec notre propre architecture.
- Deux ans plus tard, le concours pour l’édification d’une tour en fer à base carrée de 125 mètres de côté à la base et de 300 mètres de hauteur est lancé en vue de l’exposition universelle de 1889 à Paris. Le projet de la société Eiffel est retenu par le jury. La construction durera moins de deux ans.
- Je ne comprends pas bien pourquoi Edmond s’est autant investi sur ce projet, alors que la règle est de se contenter d’observer et de limiter au maximum nos interventions ?
- Comme architecte en chef, il a pu intégrer dans ce monument des caractéristiques connues de lui seul. Il a particulièrement soigné le campanile et a fait insérer des câbles qui descendent le long des quatre cages d’ascenseurs pour rejoindre une plaque métallique posée très précisément au milieu des quatre piliers.

* * * * *

Terre, an 1885 après JC

Fourbu par un long voyage ferroviaire, Edmond descend à la gare de Naples. Il est juste dix heures et quart à sa montre gousset. Il sourit. Bien qu’il n’ait lui-même que très peu voyagé, son ami Jules est incollable et a prédit à la minute près son heure d’arrivée. Dans le hall, il se dirige vers un jeune homme qui tient une pancarte « Dipartimento di Geologia ».
- Buongiorno, vous devez être Monsieur Edmond. Je suis l’assistant du Professeur. Nous allons le rejoindre à la faculté. C’est à deux pas d’ici.

Devant l’entrée de l’université, un groupe s’agite et crie.
- Mais c’est le professeur ! Restez ici. Je vais voir ce qui se passe.
En attendant, Edmond examine les alentours. Son regard est attiré par un homme d’âge mûr dont un bras pend, inerte. L’homme observe à la dérobée avant de monter dans un omnibus à traction hippomobile qui démarre aussitôt. Le jeune homme revient.
- C’est une catastrophe. La perle a été volée. Sa valeur est inestimable. Le professeur est persuadé qu’il s’agit d’une roche inconnue sur Terre. Probablement un fragment de météorite. Il a été berné par un confrère manchot, recommandé par l’Université de Marseille, qui s’est enfui avec le spécimen.
- Manchot ? Edmond montre l’omnibus au bout de la rue. Quelle est sa destination ?
- Le Vésuve.
Edmond ne perd pas une minute. Laissant son interlocuteur sur place, il court à la recherche d’un fiacre. Il glisse une pièce d’argent dans la main du cocher et indique.
- Le Vésuve. Presto. Prestissimo !


Arrivé au volcan, il doit poursuivre à pieds. Il distingue au loin la silhouette du manchot. Il a beau glisser au dessus du sol dès que personne ne peut le voir, il ne rattrape sa cible qu’une fois arrivé au bord du cratère. L’homme court toujours.
- Arrêtez !
L’homme s’arrête, mais de son bras droit, il lance la perle jusqu’à la coulée de lave laissée par la récente éruption, distante d’une dizaine de mètres seulement. La perle fond presque instantanément pour se mêler au magma.
- Trop tard, vous n’aurez pas cette maudite pierre. Elle a fini de répandre le malheur autour d’elle.

L’homme s’assoit, comme anéanti par l’effort qu’il vient de fournir. Edmond s’installe près de lui et lui parle doucement.
- Et si vous me racontiez toute l’histoire ? Je ne vous veux aucun mal, je vous promets.
- Quand j’étais jeune, je n’étais pas un homme bien. Tout comme mon père, j’étais pickpocket. Ce qui devait être mon coup d’éclat a viré au cauchemar. Par une nuit sans lune, j’ai exploré les bagages d’un brick pour en retirer les bijoux et autres objets de valeur. Une fois ma besogne achevée, j’ai fait croire qu’ils étaient tombés en mer après s’être échappés du filet qui les retenait, à cause d’un nœud mal fait.
C’est ainsi que j’ai trouvé une sorte de pyramide d’environ cinq centimètres de hauteur. Par de petites ouvertures, j’ai aperçu une perle sublime. J’ai cassé et jeté à l’eau la pyramide pour découvrir une perle parfaite et translucide d’environ deux centimètres de diamètre. Je ne voulais plus m’en séparer et je me suis endormi en la tenant dans ma main gauche. Au réveil, mon bras entier était devenu flasque et inerte.

Songeur, Edmond repense à cette traversée. Depuis cette nuit, il s’en veut de son imprudence. Il aurait du garder en permanence la balise sur lui.
- Et cette perle, qu’en avez-vous fait ?
- J’ai vite compris que mon infirmité était irrémédiable et mettait fin à ma carrière de voleur. J’ai pris contact avec une cantatrice de passage à Brest pour lui vendre la perle au prix fort. Avec cet argent et le recel des autres bijoux volés sur ce bateau, j’ai pu reprendre des études pour devenir géologue. Vous voyez, cette pierre a marqué toute ma vie !
- Oui, au point de retrouver votre penchant pour le vol aujourd’hui !
- Non, aujourd’hui, c’est différent. J’ai suivi de loin cette perle toutes ces années. La déformation du lobe de la diva m’a fait rire. Mais en découvrant cette histoire de secte qu’elle a créée, j’ai compris que cette pierre avait un pouvoir maléfique qu’il me fallait conjurer. La seule solution était de la détruire. C’est fait !
- Regardez ! les carabiniers arrivent. Fuyez ! Je les enverrai sur une fausse piste…

* * * * *

Terre, an 1889 après JC

Une semaine après l’ouverture de l’exposition universelle, Edmond se rend à la tour bien après l’heure de fermeture au public. Il discute quelques instants avec les vigiles de la société Eiffel.
- Quel succès, Monsieur l’ingénieur en chef ! Si vous aviez vu cet après-midi, la foule a pris d’assaut la tour bien que les ascenseurs ne soient pas encore en fonction. Ça se bousculait tellement dans les escaliers que l’on a craint qu’il y ait des accidents !
- Oui, c’est un bel ouvrage dont nous pouvons tous être très fiers. Je suis heureux de terminer ma carrière avec cette belle tour. Au revoir messieurs.
- Au revoir, Monsieur Sauvestre.

Une dernière fois, Edmond prend son temps pour admirer cette porte monumentale. Il en caresse les poutrelles, les rivets. Il est le seul à savoir qu’il s’agit d’un équipement doté de fonctionnalités très avancées. À 23h58, il prend place sur la fameuse plaque métallique posée au sol entre les piliers. Il espère que le cerveau central a bien pris en compte toutes les données de son dernier rapport. Dans deux minutes, il sera fixé.

Alors que les clochers alentour sonnent le premier des douze coups de minuit, un immense éclair zèbre la nuit parisienne. Il vient s’enrouler autour de la coiffe de la tour. Son énergie gigantesque parcourt en une fraction de seconde les 355 mètres de câbles et se concentre sur la plaque où se tient Edmond. Si quelqu’un avait été posté à proximité, il aurait vu un homme se transformer en forme gélatineuse qui scintille un instant avant de disparaître. La balise de téléportation ayant été définitivement perdue et la technologie terrienne pas suffisamment avancée pour la reconstruire, Edmond s’est résolu à édifier cette antenne géante identique à celles utilisés lors des balbutiements de la téléportation. Sa forme permet de cibler très précisément le signal émis depuis Paladisz sur la plaque posée entre les piliers tout en y attirant la foudre produite par les ondes extraterrestres.

De l’autre côté de la Seine, Gustave Eiffel n’a rien perdu du spectacle de l’éclair géant illuminant sa tour. Ébloui, il note dans son calepin : « Prochain défi pour mes ingénieurs : éclairer de nuit la tour grâce à la fée électricité ».

FIN

 

Et pour les curieux, vous trouverez ici deux BONUS concernant cette nouvelle ! :)

 

paratonnere tour eiffel

 

 

 

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Commentaires
C
Je comprend mieux le talent de Jules Verne ! Superbe épopée mêlant histoire et SF, un beau récit d'amitié aussi... je veux bien lire d'autres histoires dans la même veine !!
Répondre
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  • Les nouvelles d'Erik Vaucey explorent divers champs de l'imaginaire, en particulier ceux de la science-fiction. Plus largement, il dédie ce blog au monde des nouvelles et de leurs auteurs, genre littéraire qui mérite d'être mieux connu et reconnu :)
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