Le nouvelliste de la semaine : Laurent Pendarias

Quel est le lien entre l'enseignement en philosophie et l'écriture de nouvelles ?
Cet entretien m'a permis de répondre à cette étrange question.
Mais je ne vous en dis pas plus ;)

Aujourd'hui, j'ai le plaisir d'accueillir Laurent Pendarias

EV : Bonjour Laurent !

LP : Bonjour Erik !

Pour commencer, j’aimerais remercier tous ceux qui m’ont donné un coup de main ces deux dernières années et souligner à quel point l’écriture est un phénomène collectif, contrairement à ce qu’on imagine.

Quand on est jeune, on croit que l’écrivain vit tout seul avec son chat, dans une tour d’ivoire. La réalité est très différente : les auteurs passent beaucoup de temps à s’entraider, à lire et corriger les textes des amis. Les festivals occasionnent de nombreuses rencontres enrichissantes. On pourrait être tenté de supposer que les écrivains communiquent uniquement avec les morts, via les grands ouvrages classiques, mais j’ai constaté l’extraordinaire vitalité de la littérature française. On ne peut pas écrire sans lire ce que font nos collègues. C’est une activité vivante qui se construit et se renouvelle sans cesse.

Et en dernier, j’ajoute un mot pour tous nos éditeurs qui se battent au quotidien pour défendre la diversité. Et c’est bien comme ça ☺

EV : Merci Laurent pour cet avant-propos auquel j'adhère, naturellement :)
Parlons de toi, maintenant : qui es-tu ?

LP : C’est horrible mais, chaque année, c’est le premier devoir que je pose à mes élèves. Et je sais que c’est une horrible question parce qu’il n’y a pas de réponse juste. Suis-je le même qu’hier alors que je change physiquement et mentalement ? Puis-je affirmer que je suis encore moi sous prétexte que j’ai la mémoire de mes années passées ou parce que ma carte d’identité affiche un nom imposé à la naissance ?

EV : Nous respecterons donc ton côté mystérieurx ;)
Depuis quand écris-tu des nouvelles ?

LP : 2013.

EV : Comment en es-tu venu à écrire ta première nouvelle ?

LP : Difficile à dire.

Si c’est "Grimbergen le pouvoir de l’histoire", je crois que l’inspiration est venue de ce qu’on buvait avec les collègues ce soir-là… mais ce ne serait pas un très bon message pour la sécurité routière...

La première nouvelle « pro », "Je reviendrai", est d’inspiration scolaire : j’utilise parfois des anecdotes ou des histoires vraies sur des philosophes pour expliquer un concept aux élèves et j’ai tenté de m’attaquer à un texte de Kant assez complexe sur le problème de la définition du vivant. Formulé ainsi c’est étrange mais quand les Editions du Chat Noir ont publié un appel à textes sur le thème "Montres enchantées", mes neurones ont fait la connexion toutes seules.

EV : Quelles qualités trouves-tu aux nouvelles par rapport aux autres formes littéraires ?

LP : C’est court ! Et je n’ai pas le temps de lire !

C’est une tactique que j’avais mise au point plus jeune. Entre l’école et le sport, difficile de trouver des heures pour lire un pavé comme Germinal. Lire les nouvelles classiques du dix-neuvième fournit de bonnes références littéraires pour les devoirs sans le côté chronophage. Même si par la suite je suis devenu un lecteur pantagruélique j’ai redécouvert cette passion en 2013 en même temps que les productions françaises récentes. Je suis abonné à plusieurs revues qui publient des nouvelles (Galaxie, Etherval, AOC, etc.) Je suis régulièrement les sorties d’auteurs que j’aime bien comme Gulzar Joby ou Anthony Boulanger et je découvre sans cesse de nouvelles plumes. 

EV : Quels genres littéraires abordes-tu habituellement dans tes écrits ?

LP : SFFF en majorité : Fantasy, science-fiction, fantastique, steampunk et horreur.

EV : Qu'as-tu à nous dire sur l’inspiration ?

LP : Je ne crois absolument pas au mythe de l’inspiration. Pas plus qu’au prétendu « génie ». C’est mon côté nietzschéen. Si je veux me constituer une bibliothèque d’idées, je lis des fictions ou des documentaires. Je n’attends pas qu’une déesse ou qu’une force surnaturelle m’envoie l’idée.

Si je veux imaginer de nouvelles histoires, j’écris. Cela peut sembler paradoxal de dire qu’on trouve l’inspiration en écrivant mais (plusieurs collègues vont se reconnaître) le mécanisme inconscient s’enclenche quand on produit : même si on a choisi le cadre, les personnages vont acquérir leur autonomie et guider la rédaction.

Quand vous sculptez un bloc de marbre et que vous tombez sur une fissure, vous vous adaptez. Vous laissez de côté votre idée première et vous tentez de créer une nouvelle œuvre. Sur le papier, c’est pareil. Si votre personnage arrive au bord d’un précipice, il ne peut pas sauter. Certes, ça vous arrangerait mais il faut rester cohérent avec l’univers. D’une certaine façon c’est le personnage qui va vous dire comment régler le problème.

EV : Peux-tu nous en dire plus sur tes habitudes d’écriture ?

LP : Systématiquement au calme, sur une chaise, dans le silence. L’écriture requiert de la concentration.

Systématiquement avec un plan. Je fais partie des gens qui posent un synopsis, même si je m’en écarte souvent (comme je l’ai dit précédemment). Cela ne me paraît pas paradoxal de réaliser beaucoup de recherches et de soigner la préparation pour ensuite s’en éloigner, on fait la même chose en sport : on s’entraîne régulièrement avec le plus grand sérieux et on improvise les jours de compétition.

EV : As-tu une anecdote à raconter à nos lecteurs sur ta vie d’auteur ?

 LP : Les origines de ma première nouvelle ? Comme expliqué plus haut, ma première nouvelle sélectionnée en anthologie fut "Je reviendrai" pour "Montres enchantées" aux éditions du Chat Noir.

Je prépare l’histoire pendant trois semaines, teste plusieurs formules, réalise des recherches sur la géographie et l’époque (la nouvelle se déroule à Königsberg en 1790). Je rédige, re-rédige, corrige, re-corrige. Je termine le dernier jour. Je passe ma journée à peaufiner et, quand je me décide à envoyer, Internet ne marche plus !

Dimanche soir. Tous les magasins fermés. À l’époque j’habitais à Mâcon. J’attrape mon ordinateur portable de quatre kilos, sans compter les câbles, et je sors à la recherche d’un point wifi ou d’une bonne âme. J’arrive chez un ami musicien, Jean-Yves qui, par chance, est présent. Il vient d’apprendre une super nouvelle : il part en Amérique cet été. Je demande à me connecter et j’envoie mon texte de justesse. On enchaîne avec l’apéro sans se douter qu’on a tous les deux vécu une journée mémorable.

EV : Quel conseil donnerais-tu à celui qui voudrait écrire des nouvelles ?

LP : Ecrire, écrire, écrire et… écrire.

EV : Et à un lecteur de nouvelle ?

LP : Ne mange pas des chips en même temps, tu vas faire des taches sur ton livre.

EV : Comme quoi, on peut aimer la philosophie et être plein de bon sens ;)
S’il y avait un livre que tu as lu et apprécié et dont tu aurais aimé être l’auteur, ce serait lequel ?

LP : "La Horde du Contrevent" d’Alain Damasio.
Sinon j’adore tous les romans de Timothy Zahn.

EV : Qu’aimerais-tu ajouter ?

LP : Beaucoup de coups de cœur. En redécouvrant la production française actuelle j’ai déniché des plumes que j’apprécie beaucoup :

• Le recueil "Janua Vera" de Jaworski
• "Jopi et son vocan" de Gulzar Joby dans "Les robots sont-ils vraiment nos amis", Editions Voy[el]
• "Arc-en-ciel en braille" de Matthieu Guibé
• "Le choix du korrigan" de Frédéric Gobillot
• "Ombroisie" de Mellony
• "Avec nos poings d’acier" de Fred Katyn
• "Mauvais choix" de Yves-Daniel Crouzet
• "Chime & chimera", par Florian Bonnecarrère dans Absinthe n°6
• "CFDT" de Anthelme Hauchecorne
• "Dragon ronchon" d’Alizée Villemain
• "Liberty "de Doris Facciolo
• "Tourbillon aux trois ponts d’or" de Fabien Clavel dans "Montres enchantées", Editions du chat noir, 2014 
• "Accro" d’Alexandre Ratel
• Et un paquet d’autres (j’ai un rayon plein d’anthologies maintenant).

Je termine par Anthony Boulanger (j’adore "Oxyde de magie" ainsi que "Evaporation et sublimation"), John Steelwood ("Lupus in the sky destroy"), Sophie Dabat ("Comment meurent les fantômes") et Yann Quero ("Le futur ne sera plus ce qu’il était") qui sont tous des auteurs expérimentés à qui j’ai proposé de participer au projet AEnigma qui consiste à scénariser de courts jeux vidéo au format « nouvelle ». Mes productions littéraires m’ont permis d’entrer dans le milieu du jeu vidéo et je pense qu’il n’y a aucune raison pour que je sois le seul écrivain à participer.

EV : Voici d'excellents conseils de lecture pour cette rentrée :)
Peux-tu nous citer aussi quelques-uns de tes textes publiés ? 

        

• « Je reviendrai » in l’anthologie "Montres enchantées", éditions du chat noir, avril 2014
• « Bellérophon ou de la chimère », 1er prix du concours ENSTA 2014, dans "Taxons", Presses de l’ENSTA 2015.
• « De mortuis », in "Zombies et autres infectés", Editions Griffe d’encre, 2014
• « La clé de l’Apocalypse fut vendue pour 5 crédits », Présence d’esprit n°79, 2014
• « Livreuse », dans "Robots", Editions La Madolière, décembre 2014.

• « Klimat-Yuga » dans Quero Y. (dir.), "Le réchauffement climatique et après…", Toulouse, Edition Arkuiris, 2014.
• « Pandémonium », dans "Dans la peau d’un(e) autre", Editions Racine et Icare, mars 2014

    

• « Dragon rouge » in "Rouge", ACLA (Association Culture Loisirs Antibes), juin 2014.
• « Le Calcul plutôt que les Sens » dans Pontier A. (dir.) "Dimension système solaire", Edition Rivière Blanche, Juillet 2014.
• « Harcèlement téléphonique » dans "Oroboros", Edition Les Manuscrits d’Oroboros, 2014.
• « L’armée : principal client de la R&D depuis 3000 ans » dans "Ruée vers l’espace", Edition Ursula Major, 2013.
• « Lou Carcohl » in "Créatures", Editions La Madolière,     

  

EV : Peut-on trouver certains de tes textes sur le web ?

• « Bellérophon ou de la chimère » sur le site de Sciences et avenir.
• « Rasvim » in Revue du Nouveau monde n°6 "Trésors fabuleux"
• « L’Ordem’aldhi » dans “Romance rose”, Absinthe n°11

 

Illustration de Yué "Socrate et Belléphoron"

EV : Enfin, où peut-on te retrouver ?  

• Par mail : laurent_pendarias@hotmail.com
• Sur mon Site Web : www.laurentpendarias.com
• Sur mon compte FB 

EV : Merci beaucoup pour cet entretien très enrichissant ! 

LP : J'aimerais ajouter que j’ai peu écrit cette année : je devais rédiger du contenu littéraire pour différents jeux. Vous verrez bientôt les résultats. Je pense qu’en équipe, avec tous les talents réunis, nous allons réaliser des créations inédites et plaisantes.

Voici ci-dessous l'artwork pour AEnigma, réalisé par Veprikov, dont le premier épisode est scénarisé par un autre novelliste, Anthony Boulanger.

 

Merci pour l’interview ☺

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